Depuis le 17 mars 2020, les français.e.s et de nombreux autres pays dans le monde sont placé.e.s en situation de confinement afin de lutter contre l’épidémie de coronavirus Covid-19.
Cette situation inédite pose de nombreuses questions sur ce nouveau quotidien et les impacts psychologiques qui en découlent. Quand auparavant, la promiscuité était modérée par la possibilité de réaliser des activités externes (travail, école, études, promenades, etc.), du jour au lendemain des familles, des colocataires ont du reconsidérer l’ensemble de leur espace de vie, de travail mais également leur rythme de vie.
Mais plus précisément, quels sont les impacts de ce confinement ?
Nous allons tenter de répondre à cette question en l'abordant sous l’angle du groupe afin de comprendre l’impact que cette situation peut avoir sur la vie de famille mais également sous ses aspects individuels.
Pour débuter, il est nécessaire de définir les termes de quarantaine et d’isolement. La mise en quarantaine (DDCP, 2017) est une séparation et une restriction des mouvements des personnes qui ont été potentiellement exposées à une maladie contagieuse afin de vérifier si elles ne sont pas malades, réduisant ainsi le risque qu’elles ne contaminent pas d’autres personnes.
De son côté, l’isolement (Manuell et Cukor, 2011) est une séparation des personnes qui ont été diagnostiquées avec une maladie contagieuse de celles qui ne sont pas malades.
De part l’incertitude qui existe aujourd’hui sur le nombre potentiel de personnes infectées ou non par le covid-19, le confinement pourrait être défini comme une mesure de quarantaine. Cependant, le confinement est également une mesure d’isolement puisque de nombreuses personnes présentant les symptômes du covid-19 ont dû être placés dans cette situation faute de pouvoir être prises en charge par le personnel médical.
Cette situation de part son caractère soudain et inédit peut dès lors être qualifiée d’extrême puisque il nous oblige à changer les normes que nous connaissons habituellement. Une situation extrême est une situation qui va engendrer chez les personnes des émotions intenses et anxiogène « leur réclamant une réponse adaptative, un ajustement qu’elles « vivent » comme dépassant leurs moyens ». (Rivolier, 1992, p. 2).
La mise en quarantaine ou le confinement subit ne peut donc être que désagréable puisqu’elle induit non seulement une perte de liberté mais également de l’incertitude, du doute sur soi-même mais également sur nos proches et dans le cas qui nous concerne ici, sur la société dans son ensemble.
De nombreuses classifications de situations extrêmes portant sur le confinement ont été publiées ces dernières années : qu’il s’agisse d’études portant sur les vols spatiaux, les expéditions polaires, l’alpinisme de haute altitude ou bien encore les expériences plus récentes des crises sanitaires qu’ont été Ebola ou bien encore le Sras. Ces études nous ont apportés de nombreuses informations sur l’impact du stress ou bien encore sur le degré de contrôle des individus vis à vis de ces situations. (Lazarus et Cohen, 1977 ; Elliott et Eisdorfer, 1982, Rivolier, 1989).
Si dans le cas de la crise du coronavirus il n’est pas possible d’agir sur le caractère contraint de la situation, il est en revanche possible d’interroger la manière dont la menace sera perçue, la relation entre les capacités de la personne à faire face et la situation (Lazarus et Launier, 1978).
Comme indiqué par Rivolier (1992, pp.3 et 4), «c’est la situation extrême qui est anormale et non les sujets […] Leur « pathologie » se borne aux conséquences d’une explosion émotionnelle et/ou d’une réaction de stress». Il est dès lors important de considérer le temps d’adaptation à cette nouvelle situation comme naturellement compliquée et laisser le temps à chacun de s’adapter au stress engendré.
Si des troubles peuvent-être présents lors de cette situation il est tout à fait possible que ces symptômes disparaissent d’eux-mêmes une fois la situation terminée. Réussir à identifier au quotidien ce qui va nous stresser (la manière dont nous percevons l’événement) va nous permettre de mieux appréhender nos doutes et nos questions et ainsi de ne pas inhiber nos capacités naturelles à réagir au stress.
L’impact du confinement d’un point de vue groupal, familial.
Mais attachons nous d’abord à questionner l’impact d’une telle situation au sein des groupes. Le domaine social et relationnel est en effet actuellement fortement perturbé, qu’il s’agisse de familles confinées ensemble, de colocataires ou encore d’équipes de travail. Dès lors, il est pertinent d’interroger les dynamiques de groupes et les stratégies qui peuvent être misent en place pour faciliter cette vie en communauté.
Des recherches portant sur des expéditions polaires de plusieurs mois en Terre Adélie ont ainsi démontrées que des groupes pouvaient faire preuve d’une union et d’une cohésion importante pendant l’ensemble de la période de confinement quand d’autres ont vus l’émergence de sous-groupes pouvant parfois entrer en conflit mais sans que la mission ne soit jamais remise en question. Si des personnes entrainées qui vivent un confinement choisi ont connu des difficultés sur le plan relationnel, il est encore une fois normal que des conflits apparaissent pour des groupes non volontaires.
Il est apparu que deux grandes thématiques étaient prépondérantes dans l’apparition de conflits : une mauvaise communication et méconnaissance des rôles attribués à chacun. Par exemple des groupes présentant une union forte étaient capables de consensus et de dialogue inter-groupes (techniciens Vs scientifiques) alors que dans les groupes présentant des dissensions fortes chaque groupe considérait mal l’autre groupe par un manque de compréhension du travail réel de chacun.e.s. L’intérêt d’une bonne communication est de pouvoir mieux comprendre le rôle et la place de chacun au sein du groupe tout en gardant à l’esprit que l’union du groupe ne sera jamais parfaite, que de tensions arriveront, mais que ces dernières seront normales.
Dès lors, questionner votre rôle au sein du groupe et celui des autres est prépondérant. Quelle est la place des enfants et celle des adultes dans la vie de famille ? Quelles sont les activités impératives à chacun qui nécessitent un temps et un endroit isolé (télétravail par exemple pour les adultes, devoir scolaire ou universitaire pour les enfants et les étudiants) ? Quelles sont les activités pouvant être réalisées ensemble (préparation du repas, des tâches ménagères ou bien encore jeux de société. Quel est le rôle du cadre, du technicien dans la bonne conduite de l’entreprise ?
Prendre en compte cette nécessaire répartition des activités permettra de mieux se situer au sein du groupe, de la famille, du lieu de travail mais également de mieux comprendre celle des autres.
Cette capacité à maintenir une bonne cohésion de groupe en période de confinement, a créer une histoire commune, permettra de mieux distribuer l’ensemble des tensions, d’éviter que cette dernière s’accumule ou que les tensions des uns et des autres ne rejaillissent sur autrui.
Le confinement d’un point de vue individuel
Des études ont également menées sur l’impact du confinement d’un point de vue individuel en période de crise sanitaire. L’ensemble de ces études permettent de distinguer plusieurs points saillants qui vont être facteurs de stress pendant le confinement :
La durée de la quarantaine
Le premier de ces facteurs est la durée de la quarantaine. Les travaux de Reynolds et al. (2008), et de Marjanovic et al. (2007) nous indiquent qu’il existe un lien fort entre la durée de la mise quarantaine et le niveau de stress. Cette relation s’explique par le fait qu’une mise en quarantaine longue signifie une diminution des certitudes que nous aurons sur le monde qui nous entoure. Quand une quarantaine courte peut nous sembler utile et nécessaire pour répondre à un danger imminent ou immédiat, une quarantaine longue peut nous faire penser que le danger n’est pas réellement identifié et mal maîtrisé. Il faut cependant se rappeler que dans le cas précis du Covid-19 il s’agit d’une épidémie mondiale qui présente un taux de transmission élevé dont les symptômes, encore mal connus peuvent mettre plusieurs semaines à apparaitre. En l’absence de traitement identifié le confinement reste dès lors le premier des gestes barrières et considérer que cette action peut permettre d’enrayer la propagation du virus peut permettre en partie de rééquilibrer ce sentiment d’incertitude.
La crainte de la contamination
Un second facteur impactant notre vie quotidienne peut-être la peur d’être nous même contaminé ou bien de contaminer nos proches (Bai et al. (2004) ; Cava et al. (2005) ; Desclaux et al. 2017). Cette peur va entrainer chez nous une tendance à surinterpréter des effets physiques qui peuvent-être sans lien avec le virus en question. Vos courbatures peuvent-elles s’expliquer par une activité physique entamée pendant le confinement ? Ces maux de tête par un manque de sommeil ou une mauvaise hydratation ? Votre toux par une augmentation de la consommation de cigarettes ces derniers jours ? Ces modifications corporelles que j’observe sont-elles dues au fait que je prette beaucoup plus attention au moindre signal qu’à l’accoutumée ?
Vous pouvez ici tenter de briser la chaine de pensée et vous assurer de garder un sentiment de contrôle : «Si je touche un caddie, je vais mourrir» peut être remplacé par «Je me suis lavé les mains et respecté les gestes barrières, de plus il n’est pas assuré que le caddie que j’ai touché soit contaminé par le virus ». Si ce genre de pensée peut naturellement se présenter, il ne faut pas qu’elles deviennent trop récurrentes. La rationalisation de nos pensées est en soi un geste barrière.
Cependant, si un ensemble de symptômes faisant partie du tableau clinique du coronavirus apparait, il est nécessaire que vous consultiez un médecin.
La frustration et l’ennui
La perte de nos habitudes, la diminution de nos sorties, rencontres amicales et professionnelles va entrainer un sentiment d’isolement et ainsi être la source de frustration. Cet ennui peut-être modéré par des activités de réseautage ou encore l’utilisation d’internet (Hawryluck et al., 2004), (Jeong, Yim et Song, 2016).
La planification d’activités va permettre de maintenir un rythme auquel nous pourrons nous tenir. Décomposer la journée en des temps multiples et identifiés va enrayer ces sentiments de lassitude, qu’une journée a été perdue et éviter que plusieurs petites tâches quotidiennes qui auraient pu être réalisées le jours même ne s’accumulent et deviennent par la suite trop lourdes à gérer conduisant à une dévalorisation personnelle : « J’avais toute la semaine pour faire mon ménage et je n’ai rien fait, je suis nul.le ».
Cependant, il faut garder en tête que ce partage du temps dans la journée et dans la semaine doit être accompagné de moments de repos, de moments ludiques. Il est extrêmement difficile de rester efficace sur une même tâche si on ne donne pas à notre cerveau ou à notre corps la possibilité de souffler.
Si la mise en activité vous semble difficile parce ce que ce que vous avez à faire vous semble trop compliqué, trop long, trop fastidieux, vous pouvez dans un premier temps vous fixer un objectif très court, comme travailler pendant une minute pour commencer. Même si cette minute peut sembler dérisoire, elle aura l’avantage de vous prouver que si vous êtes capable de travailler pendant une minute, vous serez capable de travailler pendant deux minutes, puis dix, puis une heure. Enfin, pour faciliter cette mise en action, vous pouvez préparer à l’avance votre travail (poser sur votre bureau les documents administratifs que vous avez à remplir la veille pour le lendemain, mettre en évidence votre guitare afin que vous puissiez l’attraper rapidement, etc.)
L’absence d’informations claires de la part des autorités
Chacun d’entre nous déteste l’incertitude dans notre vie quotidienne. En période de confinement, cette incertitude, qui touche à la santé se trouve donc exacerbée. (BraunackMayer et al, 2013 ; DiGiovanni et al, 2004)
Le rôle des autorités publiques n’est donc pas de tenter de rassurer la population mais d’être le plus transparent possible sur la gestion de l’épidémie. En effet, le manque d’informations sur les mesures prises ou le sentiment qu’une information est cachée ne fera qu’augmenter l’incertitude et donc le stress : « le pire est encore à venir, on nous cache des choses ».
Dès lors, comment réagir face à ce flot d’informations souvent contradictoires ?
Parce que ce virus est inconnu, il faut accepter que de nombreuses questions soient aujourd’hui sans réponse, que les connaissances concernant ce coronavirus peuvent évoluer rapidement et donc les décisions sanitaires évoluer également rapidement. Cependant si l’exécutif se doit dans une démocratie d’être transparent, il sait son avenir politique engagé. "Nous sommes en guerre" nous indiquait le 16 mars Emmanuel Macron lors de son allocution télévisée. Et, en temps de guerre, les pouvoirs politiques privilégient des discours faisant appel à des structures binaires et à l'autorité dans le but de produire un comportement automatique (Moscovici, 1961, pp. 628-633). Autrement dit, l'objectif d'un pouvoir politique en temps de crise n'est pas de créer de l'autonomie et des opportunités de dialogue qui émergeront dans la société puis au Parlement mais au contraire, de créer de l'adhésion envers le pouvoir politique, du normatif. Ce type de discours ne relève pas de la diffusion ou de la propagation d'information mais de la propagande. Dès lors, la communication ne se veut plus seulement sanitaire mais également politique et il est important d’en tenir compte.
Comment diminuer les conséquences de la quarantaine ?
Les effets psychologiques présentés ci dessus sont avant tout normaux dans la grande majorité des cas et peu impactants. Il est cependant nécéssaire de porter une attention particulière aux personnes ayant été victimes du virus, à leur famille, aux personnels de santé ou toute autre personne fragilisée.
Si comme indiqué par Reynolds et al. (2008), il est possible que le personnel médical ou bien les personnes ayant été infectées par le coronavirus soient stigmatisées par le grand public ou les représentants de l’exécutif (notamment les propos lamentables du Préfet d’Emmanuel Macron à Paris, Didier Lallement (Francetvinfo.fr)) il faut garder à l’esprit que ces commentaires sont issus de personnes peu informées de la maladie et qu’il est, même en temps normal difficile de lutter contre la malveillance.
Que retenir ?
Pour résumer, il est important de réussir à identifier ses émotions mais également d’accepter celles qui sont négatives. Une période de confinement ne pouvant qu’exacerber ces dernières (Brooks et al, 2020).
L’organisation quotidienne, la capacité à se distraire, à briser la chaîne de pensée, à s’informer correctement, à comprendre que les injonctions contradictoires relèvent à la fois d’un processus politique et sanitaire sont autant d’éléments qui vont permettre de mieux comprendre nos processus de pensées.
Si la crainte est normale en cette période, il pourra cependant être utile de consulter si vous en ressentez la nécessité.
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https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/coronavirus-les-propos-de-didier-lallement-font-polemique_3898633.html
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